Marx et les robots…

robot-Marx
Dans les deux articles présentés ci-dessous, dont le second est devenu un « classique » signé par Paul Krugman (lire les nombreux commentaires associés à cet article est sans doute aussi voire plus intéressant car il donne un bon reflet de l’état de la pensée sociale et économique aux USA quant aux évolutions  du marché du travail en lien avec le développement technologique), ce qui est intéressant est en réalité non pas de savoir si et comment les humains cohabiteront avec les robots sur le marché du travail, mais plutôt quelle conception de la technique nous nous sommes forgés. En d’autres termes, les robots sont-ils le produit ultime d’une societas ex machina – pour reprendre une expression de Braverman – où les orientations du monde social et économique, c’est à dire littéralement le changement historique, seraient directement induits par une innovation technologique en quelque sorte autonome, ou faut-il penser au contraire que l’innovation technique est socialement produite et est par conséquent la manifestation de rapports de force au sein du social ? Dans la première hypothèse, on peut considérer avec optimisme que la technique s’inscrit dans un mouvement mélioriste tel qu’elle finit toujours par profiter à l’humain (par exemple en imaginant que le robot délestera l’homme de tâches difficiles ou rebutantes) ; on peut aussi penser que l’innovation comme production d’un champ des possibles – certaines technologies deviennent des standards, d’autres des échecs – obéit à une sorte de téléologie, de finalité rationnelle dont le sens se révèle a posteriori. Dans la seconde hypothèse, la technologie est réinscrite dans le cadre des rapports de force socio-économiques. C’est cette idée que va commenter par exemple l’économiste Bruno Tinel, s’appuyant sur une lecture de théoriciens radicaux tels que Marglin ou Braverman et en inversant la formule de Marx selon laquelle « Le moulin à bras vous donnera la société avec le suzerain ; le moulin à vapeur la société avec le capitaliste industriel » (Marx [1847], p. 79). En effet, à rebours de cette formule, on peut réinterpréter l’évolution historique en  considérant que c’est plutôt le suzerain qui donne le moulin à bras : « Le rôle de la technique est relativisé dans l’analyse par les radicaux au profit des luttes sociales, des rapports de pouvoir et de domination : c’est par eux qu’est résolue l’indétermination ex ante de l’organisation de la production. Celle-ci résulte alors des rapports de forces qui ont lieu à la fois dans la société et sur le terrain contesté qu’est le laboratoire secret de la production. Ce premier volet du refus, par les radicaux, du déterminisme technique strict revient à réaffirmer que l’organisation de la production est endogène aux rapports de production, pour un état donné du développement des forces productives. Comme l’écrit Braverman, la théorie d’une societas ex machina, pour qui «les attributs de la société moderne sont considérés comme sortant directement des cheminées d’usine, des machines-outils et des ordinateurs» (Braverman [1974], p. 22) doit être rejetée » (Bruno Tinel : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00196377/document)En résumé, les robots peuvent êtres analysés moins comme l’expression d’une sorte de matérialisme historique doté d’une force propre et animé par un progrès technique inexorable et finalisé que comme les révélateurs des forces sociales et économiques à l’oeuvre dans le monde capitaliste… Par extension, une telle perspective doit nous amener à considérer à nouveaux frais la question de la division du travail, question sur laquelle nous reviendrons dans un prochain article, à la fois parce qu’elle s’impose avec force dans les débats autour des effets possibles de la robotisation du monde du travail, notamment la substituabilité  du robot à l’humain, et aussi parce qu’elle permet de renouer avec des auteurs finalement mal connus dans le champ des sciences sociales qui ont pensé, dès le milieu des années 70, la question de la technique sous son versant le plus politique.

États-Unis : 1800 scientifiques se demandent si l’espèce humaine devait craindre l’avènement des robots

Peut-on vivre en harmonie avec les robots? C’est la question à laquelle une récente étude tente de répondre. En effet, pas moins de 1.800 scientifiques ont exprimé leur point de vue et les avis sont très partagés (http://fortune.fdesouche.com/370949-etats-unis-1800-scientifiques-se-demandent-si-lespece-humaine-devait-craindre-lavenement-des-robots)

Voici le résultat de l’étude de l’Université d’Elon aux États-Unis: 52 % des scientifiques qui se sont exprimés lors de cette étude sont persuadés que l’impact de la robotique permettra de créer de nouvelles perspectives pour l’Homme, une certaine valeur ajoutée, avec la création par exemple de nombreux emplois liés à ce secteur bien spécifique. On imagine en effet très bien la nécessité d’un large éventail de techniciens et d’ingénieurs pour le soin et la maintenance de nos nouveaux amis.

Les progrès en robotique permettent, entre autres, de soutenir notre charge de travail et aussi de nous remplacer dans des secteurs laborieux, dangereux ou de précision. On s’imagine déjà dans un univers à la Star Wars avec des robots utilitaires à chaque coin de rue, avec pourquoi pas un petit R2D2 en guise de compagnon pour nous apporter le café. L’automatisation par la robotisation va aussi faciliter l’ouverture de nouveaux marchés.

A terme donc, les robots pourront faciliter la création d’entreprise en réduisant les coûts. Mais tout ceci est aussi à double tranchant, car on oublie bien souvent que de nombreux métiers du quotidien, qui paraissent « invisibles », sont réalisés par des êtres de chair et de sang. Le sujet de la robotique est donc délicat.

L’automatisation à outrance par exemple ne risque-t-elle pas de remplacer à long terme totalement l’Homme? Sans forcément entrer dans un scénario à la Terminator où les robots prennent le dessus sur nous, on peut légitimement se poser la question.

C’est là qu’interviennent les 48 % d’experts qui estiment que les robots auront un rôle tellement important qu’ils auront plus de travail que nous, ce qui risquerait de créer de graves problèmes économiques. On se souvient des réserves du grand scientifique Stephen Hawking sur l’intelligence artificielle dont nous vous avions déjà parlé.

L’avancée technologique est souvent une véritable bénédiction, mais n’oublions pas que celle-ci peut être un outil pour nous surveiller et même dans le pire des cas nous nuire. On sait par exemple que bon nombre d’inventions de l’Humanité ont pour origine une technologie militaire transformée. On peut dès lors aisément imaginer le champ d’action d’une telle technologie…

Rise of the Robots

Paul Krugman

Catherine Rampell and Nick Wingfield write about the growing evidence for “reshoring” of manufacturing to the United States. They cite several reasons: rising wages in Asia; lower energy costs here; higher transportation costs. In a followup piece, however, Rampell cites another factor: robots.

The most valuable part of each computer, a motherboard loaded with microprocessors and memory, is already largely made with robots, according to my colleague Quentin Hardy. People do things like fitting in batteries and snapping on screens.

As more robots are built, largely by other robots, “assembly can be done here as well as anywhere else,” said Rob Enderle, an analyst based in San Jose, Calif., who has been following the computer electronics industry for a quarter-century. “That will replace most of the workers, though you will need a few people to manage the robots.”

Robots mean that labor costs don’t matter much, so you might as well locate in advanced countries with large markets and good infrastructure (which may soon not include us, but that’s another issue). On the other hand, it’s not good news for workers!

This is an old concern in economics; it’s “capital-biased technological change”, which tends to shift the distribution of income away from workers to the owners of capital.

Twenty years ago, when I was writing about globalization and inequality, capital bias didn’t look like a big issue; the major changes in income distribution had been among workers (when you include hedge fund managers and CEOs among the workers), rather than between labor and capital. So the academic literature focused almost exclusively on “skill bias”, supposedly explaining the rising college premium.

But the college premium hasn’t risen for a while. What has happened, on the other hand, is a notable shift in income away from labor:

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Credit

If this is the wave of the future, it makes nonsense of just about all the conventional wisdom on reducing inequality. Better education won’t do much to reduce inequality if the big rewards simply go to those with the most assets. Creating an “opportunity society”, or whatever it is the likes of Paul Ryan etc. are selling this week, won’t do much if the most important asset you can have in life is, well, lots of assets inherited from your parents. And so on.

I think our eyes have been averted from the capital/labor dimension of inequality, for several reasons. It didn’t seem crucial back in the 1990s, and not enough people (me included!) have looked up to notice that things have changed. It has echoes of old-fashioned Marxism — which shouldn’t be a reason to ignore facts, but too often is. And it has really uncomfortable implications.

But I think we’d better start paying attention to those implications.

Voir aussi l’interview filmée de Paul Krugman sur :  http://www.businessinsider.com/paul-krugman-on-technology-and-the-economy-2013-2?IR=T